Orlando to New Orleans
J'ai perdu ce foutu carnet. Le carnet sur lequel j'écrivais le voyage, notre voyage. Et il y avait tout: nos échanges drôles et tendres, parfois tristes; le nom de chaque terre foulée, des âmes que l'on a rencontrées. Et l'atmosphère. L'atmosphère qui se dégageait de cette aventure. Atmosphère sur laquelle j'avais posé des mots, sans y être parvenue tout à fait.
Ce que j'écris, c'est ce qu'il me reste donc. Après tous ces mois.
Nous arrivons depuis Reykjavik vers 22h30 heure locale à l'aéroport d'Orlando (FL). L'écart de température est saisissant. Nous faisons un bond de -5°C à 20°C. Un soir d'été humide en somme. J'avais embarqué avec ma vieille parka vintage que j'ai vite troqué contre un cardigan léger. Toutes les âmes que l'on croise sont bras et jambes nues, mais il ne faut pas trop me brusquer.
Arrivés dans l'aéroport, nous récupérons notre voiture de location pour partir à la recherche de... data ! Evidemment, à 23h aux Etats-Unis vous trouverez tout ce que vous voudrez... au Walmart. Ce temple de la consommation ouvert 24H/24, 7J/7 où tout se mêle: produits pharmaceutiques, vêtements, produits alimentaires, de jardinage, hi-tech. Bref, vous trouverez tout, tout le temps au Walmart. Même des toilettes.
Je n'avais aucune appréhension quant à Orlando. Julien en avait davantage: LA grosse ville de Floride. Contrée du luxe et de la démesure. Nous allions nous faire plumer, allumer, ruiner. Nous entamons donc nos recherches d'hôtel pour la nuit avec une légère crainte. Nous ouvrons nos comparateurs de motels fétiches et.... surprise ! Des nuits d'hôtel entre 35$ et 45$ la nuit ! Dans des lits King size ! Yihaaaaaa ! Nous optons pour un modeste hôtel avec piscine, cour intérieure et lit de 2m sur 2m pour la modique somme de 39$. Avec service laverie. Oui. Mais découvrirons plus tard que c'est le propre de presque tous les hôtels, de posséder une laverie.
Nous passons une courte nuit, nous voulons prendre la route vers le sud de la Floride. En réalité, nous rêvons d'atteindre la Nouvelle-Orléans rapidement, amateurs de vieux jazz que nous sommes. Et puis Orlando n'a rien d'attrayant. Cela ressemble... à pas grand chose. Des buildings bas, sans charme dont de pauvres palmiers alignés sur les allées principales essaient de compenser la laideur.
Nous prenons la route, nous choisissons un itinéraire qui nous permettra de faire une pause à Panama City, à mi-chemin vers notre destination. Nous croiserons beaucoup de pancartes en faveur de Trump, tantôt brandies par des militants tantôt greffées avec fierté aux porches des maisons. Nous ne sommes guère surpris.
Hors des sentiers battus, nous faisons une pause dans un modeste café pour déjeuner. La devanture nous laisse croire qu'il s'agit d'un commerce natif américain. Nous pensons supporter cette minorité exclue en choisissant celui-ci plutôt que son voisin. Raté. Un couple de Redneck, sept décennies probables à leur compteur, nous accueillent. Très chaleureux.
Nous sommes l'attraction de la journée, le café est vide. Nous avons donc l'occasion d'échanger. La télévision repasse en boucle les images de campagne des candidats à la présidentielle. L'élection est le soir même. Ils nous confient leur appréhension quant au passage de Clinton. Ils espèrent un changement radical, "pas de Bill bis" nous lancent-ils. Ils se réclament de l'Amérique du bas qui trinque. Celle qui déplore la politique d'Obama, chouette en vitrine, écoeurante en bouche. Nous écoutons attentivement. Nous ne sommes pas étonnés de leur prise de position radicale. La peur de l'autre - l'étranger, l'inconnu - est l'apanage du Redneck isolé; ce qui va de paire avec le désir de protectionnisme économique et social et une politique de droite conservatrice. Ils voient en Trump une sorte de refuge.
A Panama City nous faisons une pause pour la nuit. Trump est élu.
Nous sommes surpris cette fois-ci. Nous pensions que cette position n'était pas majoritaire ici. Depuis la France, nous avions remarqué que les "villes vitrine" américaines, celles qui sont populaires et dont l'écho retentit jusqu'en Europe, étaient majoritairement démocrates. Mais les médias évoquaient peu l'autre Amérique. Celle qui a voté ce jour-là et dont la Presse se fout.
Nous découvrons Panama City Beach et son pier. Un endroit agréable pour déjeuner.
Nous optons pour une salade composée, onions rings et calamars frits au Hook D, sur le Pier, devant l'océan. La salade n'était franchement pas bonne, mais le cadre était agréable.
Un yaourt glacé et un collier Navajo acheté sur l'avenue principale plus tard, nous sommes de nouveau en route. Nous longeons la Floride par la côte, traversant des villes plus belles les unes que les autres; des villas au bord de l'océan avec leurs ponts privés desservies par des allées aux palmiers démesurés.
Notre prochain stop s'effectuera dans une exposition éphémère de voitures de collection que nous croiserons sur la route, organisée par Harley Davidson.
Je ne me souviens pas vraiment de l'entrée dans la ville de la Nouvelle Orléans.
Je pense que Julien non plus. Si je dois être honnête, j'avais prévu de rentrer en France. De prendre mon billet retour. Mais il était tard, j'avais besoin de sommeil.
L'hôtel dans lequel nous arrivons ressemble à un vieux manoir. La réceptionniste, une dame corpulente aux lèvres pincées, m'accueille sans une once de chaleur. Elle me tend les clés en me lançant quelque chose du genre "enfin !" (nous sommes arrivés à 23h). J'ai envie de la traiter de connasse. Je me retiens. J'ai passé une mauvaise soirée.
Je pose mon sac dans la chambre et je pars vagabonder dans la ville. Il me semble que certains coins sont déconseillés à la fréquentation de nuit pour une femme seule. J'y pense vaguement un instant, je n'ai pas de téléphone fonctionnel. Et puis je m'en fiche. J'ai besoin d'air. J'ère dans des rues sombres, désertes et ça me plaît. Les maisons que je croise dégagent une onde spéciale. Je ne saurais comment la décrire sans maladresse. Si seulement je n'avais pas perdu mon téléphone portable durant le voyage - avec lequel j'avais pris quelques photos - vous auriez pu vous figurer l'endroit. Des poupées étaient attachées aux devantures de certaines maisons, de nombreux mobiles suspendus dansaient au gré du vent en émettant une légère musique. Certaines maisons étaient en ruines, vestiges de Katrina 2005. Après une heure de marche, je décide de rentrer à l'hôtel.
"That's all good"
Ma nuit a été courte et agitée. Au petit déjeuner, pas de fruits à l'horizon mais gaufres, pain de mie, yaourts, fromage en tranches, faux café. Merde. Je rêvais d'un vrai bon café. Je prépare ma pisse sucrée et un grand homme afro-américain, la cinquantaine, béret et tee-shirt oversize me lance "That's all Good !". Il avait un large sourire. Radieux. Les dents d'un blanc immaculé. Il respirait la joie de vivre. J'esquisse un sourire.
Je m'assoie à une table avec mon semblant de café. Il m'y rejoint et me demande si j'attends quelqu'un. Je n'attends personne. Il s'assoit.
Il s'appelle Jeff. Il sent que j'ai besoin de parler. Je lui parle. On parle. Je crois que c'est ce qu'on appelle vulgairement "une rencontre". Je lui raconte notre road trip; que nous projetions d'aller au Texas ensuite. Il me dit que sa fille habite à Austin, que je peux la contacter là-bas. Et puis je pense au billet d'avion que je dois prendre. A rentrer en France. Je n'ai pas changé d'avis.
Jeff est chauffeur Uber. C'est comme ça qu'il gagne sa vie. Il me dit que si j'ai le moindre problème "Call Jeff !". Je reçois un coup de fil, je m'éloigne un instant. Après ma conversation je monte dans la chambre pour faire mes bagages. Je n'ai plus mon sac à main. J'ai dû l'oublier quelque part, sur la terrasse, je cherche partout, je demande au directeur de l'hôtel, aux femmes de ménage, à Jeff.
On a volé mon sac.
Je prends une seconde pour réaliser que dans ce sac, il y avait 1000$ en espèces (toutes mes économies pour le voyage), ma carte bancaire et mes papiers d'identité dont mon Passeport. Une seconde supplémentaire m'a suffi pour comprendre que sans passeport je ne pouvais pas rentrer en France, et que j'étais coincée ici sans argent pour plusieurs semaines. Il y avait aussi les clés de la voiture de location. Merde. Je fonds en larmes. Jeff essaie de me réconforter, il demande au personnel de l'hôtel. Rien à faire.
Le personnel du manoir est toujours aussi antipathique bien que la réceptionniste de la veille ait été relayée par un jeune homme, tout aussi triste. Julien me rejoint. Il demande au directeur de voir les caméras de surveillance. Celui-ci répond qu'elles ne fonctionnent pas. Nous menaçons d'appeler la Police. Il nous demande ensuite d'attendre à l'extérieur pour éviter de déranger les clients. 20 minutes plus tard il nous apprend qu'il a vérifié les caméras mais qu'il n'y voit rien. Jeff demande à les voir ce qui lui est refusé, le directeur n'a pas le droit de montrer les rushs, protection de la vie privée de la clientèle.
Nous appelons la Police. Elle peut se déplacer "quand elle aura le temps". Le temps d'attente estimé se situe entre 3H et... 48H ! Vous avez bien lu. Le directeur de l'hôtel nous ramène progressivement des objets qu'il aurait trouvé dans la poubelle d'une chambre. Il n'a parait-il pas le droit de dévoiler l'identité du client de ladite chambre. Je retrouve donc mes papiers et la clé de la voiture. Pas le reste.
Je décide tout de même de rester aux Etats-Unis. Dire que je n'ai pas vu ce vol de sac comme un signe serait mentir.
Nous décidons une activité pour l'après-midi, la visite du Parc d'attraction dévasté par Katrina.
Aux abords du Parc, un tag sur un mur décrépit: "NO TRESPASSING, WILD LIFE IS PRESENT". Nous pensons à un blague. Nous poursuivons. Un petit portail à escalader et nous voilà dans le parc. Des corbeaux croassent, et le silence.
Nous faisons quelques photos. Un vigile nous surprend, il nous informe qu'il est interdit d'entrer dans le parc tout en nous raccompagnant à l'entrée, où une femme en uniforme nous attend près d'une voiture, qui ressemble à celle de la police locale. Nous tentons d'établir le dialogue de l'autre côté de la barrière. Elle ne nous adressera pas la parole, ne nous témoignant pas même un regard. Nous escaladons donc. Elle nous prend en photo pendant l'opération.
" I am usually the good cop, but sometimes, I have to be the bad cop"
Ce seront ces mots pour introduire notre échange à venir. La couleur est annoncée. Elle nous demande de la suivre près d'un d'un terrain vague à l'arrière du parc. Au talkie elle échange avec son supérieur. Elle nous demande 300$.
300$ ou notre voiture à la fourrière. Chouette journée non ?
Julien veut payer, après toutes les épreuves traversées depuis la veille, il en a assez. Putain de voyage. S'il faut payer 300$ pour être tranquilles, allons donc. Elle les demande en espèces, impossible de payer par carte. C'était la phrase de trop. Julien lui explique que 1 000$ viennent de nous être subtilisés dans cette "Fucking town", et que ce n'était donc pas le moment de nous faire chier. Elle se ravise. Mais pas trop.
Cela descend à 100$, 100$ ou la fourrière. Elle nous indique que la fourrière coûte 800$ tout en vérifiant si son taser fonctionne bien. Nous aurions pu éviter de payer cette somme, il s'agissait de vol pur et simple. Mais croyez-nous, après tous ces évènements, nous n'avions pas la force de nous battre.
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Nous rejoignons Jeff le soir pour écouter du bon Jazz et boire. Pour se consoler.
Il nous emmène à Bourbon Street. La rue de la fête. Mais ce n'est pas la fête dont nous rêvions. La rue fourmille d'âmes éméchées qui s'entre-choquent, incapables de tenir sur leurs jambes fatiguées par l'alcool. Des cris, des jupes courtes et des regards aguicheurs. Des rabatteurs à l'entrée de chaque bar, avec la même merde commerciale que t'entends chez toi en fond sonore. De blancs américains originaires d'autres Etats venus se lâcher à N.O.L.A pour reprendre leurs habitudes presbytériennes une fois le voyage terminé. Voilà Bourbon street.
Nous devions quitter la Nouvelle Orléans le lendemain matin. Mais nous étions frustrés de ne pas avoir écouté de vrai Jazz de Louisiane. Nous décidons de rester une nuit de plus dans le même hôtel, il ressemblait à une ancienne prison, cela avait son charme.
Le lendemain soir sur les conseils d'un cireur de chaussures (celui de la vidéo) croisé au hasard sur Bourbon Street, nous atterrissons à Frenchmen street. Le tour qu'il nous a joué ne nous a finalement pas fait perdre 20$. Cette soirée a été fantastique. La Nouvelle Orléans authentique est là, sur Frenchmen: le vieux jazz, les artistes de rue, la bonne cuisine.