Guyane - Une semaine carnavalesque
Il y a presque un an que nous avons fait notre dernier voyage en date. Je ne vous fais pas un dessin puisque nous sommes tous dans le même bateau. Le couperet du premier confinement est tombé quelque temps à peine après notre retour. Le moral en berne, nous n’avons jamais pris le temps de partager notre expérience, pourtant si unique, aux portes de l’Amazonie.
C’est en Guyane que l’on a posé nos valises pour une semaine. Une destination propice à enflammer mes rêves d’aventurier, le désir moite de me perdre dans la luxuriance du poumon de la planète, d’y rencontrer les descendants des amérindiens qui ont construit mes fantasmes de gamin, de cette tribu qui m’attendait au fin fond d’une terre inexplorée. Mais moi, l’archéologue, anthropologue, explorateur de canapé, je devrais attendre, car la Guyane avait d’autres choses à nous offrir. Notre venue avait pour raison première la découverte et l’immersion dans une actualité culturelle démesurée par sa durée et la ferveur qu’elle suscite: le Carnaval.
Avant même de le découvrir de nos propres yeux, ce Carnaval nous avait envoûté sur le papier, nous étions excités d’aller le vivre de l’intérieur. Loin d’être un simple folklore, cet évènement qui fait battre le coeur des guyanais pendant près de deux mois chaque année, prend sa source dans la tragédie de l’Histoire, celle de la colonisation et de l’esclavage dont l’abolition fut l’une des plus tardive au monde, en 1848.
Comme un pied de nez à l’ignoble, cette tradition est née de fêtes clandestines que les esclaves organisaient pour se moquer des bals mondains dont raffolaient les colons. En laissant exprimer leur culture africaine, ils pouvaient retrouver un peu de dignité, en moquant les danses de salons et les soirées masquées de leurs bourreaux.
De nos jours, le Carnaval embrasse le grand métissage du territoire et les cultures qui le composent, ce qui en fait un événement de célébration universel et de solidarité.
Je ne vais pas vous faire un exposé sur le Carnaval, d’une part parce qu’il est construit d’une multitude de traditions et de subtilités, que vous pouvez découvrir en lisant nombre d’articles en ligne sur le sujet; ensuite, parce que je ne pourrais prétendre en avoir fait le tour.
Une semaine, ça passe vite, très vite et nous nous sommes laissés porter par le flow jusqu’à, littéralement, finir en fanfare dans une des plus grandes parades du Carnaval dans les rues de Kourou. Enivrés de musique, de danse et de couleurs, galvanisés par l’énergie qui s’en dégageait et éblouis par la farandole de sourires qu’affichaient les visages grimés qui défilaient devant nous. Ce grand moment de communion du melting pot guyanais représenté dans tous ses êtres, tous ses âges et toutes ses couleurs de peaux, fut le point d’orgue de notre voyage.
Bien plus qu’une simple parade, le carnaval de guyane est un florilège de traditions
Avant ça, nous avons eu le privilège de percer le mystère de la plus grande figure du Carnaval: le Touloulou. Véritable légende , le touloulou est la Reine du Carnaval (oui, on dit bien UN touloulou), un personnage à mi-chemin entre la commedia dell’arte et la société secrète du Eyes Wide Shut de Kubrick. Une sorte de figure démoniaque née de l’imaginaire créole, à l’aura aussi magnétique que la beauté de sa parure, aussi énigmatique que le rituel qui l’accompagne.
Dans le respect de la tradition le plus absolu, très chère aux guyanais, les touloulous sont des femmes à l’anonymat très secrètement conservé sous un déguisement intégral, qui prennent le pouvoir sur les pistes de danse des bals parés-masqués chaque Samedi soir de la période du Carnaval. Figure allégorique et mystique, le touloulou brise les chaînes des inégalités sociales et ethniques et incarne à elle seule le girl power à son paroxysme et gare à ceux qui lui refuseront une danse! Car le touloulou a tous les droits, elle choisit et dispose de ses partenaires de danse comme elle l’entend et jamais ne leur dévoilera son identité.
Je vais m’en tenir là pour la description de cette tradition et vous invite à lire plus sur ce sujet, tout à fait fascinant et passionnant.
Si nous avons pu entrer dans l’intimité de ce mythe, c’est parce que nous sommes remontés à l’origine de l’élément clé de cette tradition: la parure. Car derrière ces costumes hauts en couleurs et ces masques se cachent des kilomètres de tissus, de fils, de bijoux et de toutes petites mains.
Ce sont des doigts fins et élégants, accompagnés du sourire solaire et coquet de Mme Pequin, qui nous ont ouverts les portes de son petit atelier. C’est ici, nichée dans l’arrière cour de sa maison, que se cache la Reine des reines du Carnaval et c’est à elle que, dans le plus grand secret, des femmes de tous âges et de tous horizons, viennent réserver leur tenue de gala.
Un petit bout de femme à l’énergie débordante, à la verve charismatique et au charme tout brésilien de ses origines qu’elle nous confie avec fierté, trône en maitresse de maison. À la croisée des chemins entre Olivier Rousteing et Sylvie Tellier, Mme Pequin, Dalvia de son prénom, s’assure que tout soit parfait, tant au niveau de ses créations, qu’elle ajuste lors des essayages qu’elle réalise dans son atelier, qu’à l’occasion des défilés qu’elle organise avec son groupe de touloulous. Ici, tout est fait main, ici tout est musique, beauté et joie de vivre, ici… est la quintessence de la féminité.
Bien entendu, pour les besoins du reportage, j’ai su qui se cachait derrière certains touloulous, privilège qu’aucun homme n’est censé avoir, et je les remercie d’avoir accepté de m’immiscer dans ce secret bien gardé en échange de ma plus grande discrétion.
J’ai même eu l’occasion d’être invité à danser par l’une d’entre elles pendant une soirée parée masquée, au beau milieu d’une affluence monstre. Pour assurer mes arrières, j’ai pris la veille un cours de danses traditionnelles les plus répandues; Biguine, Mazurka et Piké Djouk n’ont plus aucun secret (ou presque) pour moi.
Il paraîtrait que je me suis pas mal débrouillé, je n’aurais vraisemblablement pas été laissé sur le bord de la piste toute la soirée, triste châtiment réservé aux mauvais danseurs par les impitoyables touloulous, et dès la chanson suivante, j’ai dû redoubler de ruses pour fuir les invitations sur mon trajet vers la sortie de la piste. Mon appareil photo de nouveau en main, je pouvais dégainer mon alibi pour décliner poliment et ne surtout pas vexer les reines de la nuit.
Les groupes musicaux, l’adn du carnaval
Si les bals parés-masqués sont des immanquables du Carnaval, une autre fierté locale porte bien haut l’étendard de la sauvegarde de la culture carnavalesque. Les groupes de rue, gigantesques orchestres ambulants, sont une véritable institution en Guyane. Et on comprend vite pourquoi lorsqu’on se retrouve au coeur d’une telle démonstration de talent, comme nous l’avons été pendant les répétitions des deux groupes majeurs.
Mayouri tcho Nèg et Kassialata nous ont embarqués avec eux dans la construction progressive d’un rythme effréné et d’une symphonie de caisses, de cuivres et de vents, sublimée par des chorégraphies millimétrées. Alors en train de prendre les artistes en photo, mon échine parcourue par le son, mon corps ne pouvait s’arrêter de bouger et de sauter pendant que je shootais en cadence. Ensorcelé.
Voilà. Je vous le répète, une semaine ça passe très vite. D’autant plus quand il s’agit tout à la fois de découvrir, comprendre et témoigner d’un évènement culturel aussi riche que le Carnaval de Guyane.
Alors bon, au milieu de toutes ces émotions, notre demi-journée de pirogue sur la crique Gabriel, une petite rivière qui étend ses tentacules au coeur de la dense forêt amazonienne, ou l’exploration du jardin botanique de Macouria peuvent sembler anecdotiques. Ce pourrait être le cas si les singes, les paresseux, les papillons aux couleurs irréelles, les passiflores et les orchidées gigantesques, pour ne citer qu’eux parmi une faune et une flore des plus riches au monde, ne m’avaient pas rappelé que le spectacle des Hommes ne pourra jamais égaler celui de la Nature mais, à l’instar des tribus d’amazonie, ne cesser de lui rendre hommage.
À noter:
Nous avons une chance inouïe de compter la Guyane parmi les territoires français, faisant indirectement de nous des citoyens ayant la responsabilité de protéger par nos actions ou nos prises de positions, l’incroyable diversité de la forêt équatoriale d’Amazonie et les ethnies qui y vivent depuis des siècles. J’ai pour espoir d’y retourner pour explorer et envisager les possibilités d’un tourisme responsable, solidaire et engagé, comme partie de la solution à l’intégration sociale et économique des peuples amérindiens, de la sauvegarde de leur culture et de leurs connaissances ancestrales conjointement à celle de la biodiversité qui y est intrinsèquement liée. Une alternative viable, en accord avec le monde d’aujourd’hui, aux industries polluantes et destructrices qui mettent le poumon de la planète en danger d’extinction.