Expédition au Spitzberg: 10 jours au Royaume de l'ours blanc

Le 8 Décembre, Mike Horn et Børge Ousland mettait un terme prématuré à l’expédition qui devait les voir traverser l’Océan Arctique depuis l’Alaska jusqu’au Spitzberg, dans le cadre du projet Pole2Pole. À skis de randonnée sur la banquise, les deux aventuriers ont été secourus après avoir connu de nombreuses mésaventures sur une glace fragile et instable, qu’ils attribuent avec inquiétude aux conséquences du réchauffement climatique. Un constat encore plus amer lorsque Mike Horn, confie n’avoir croisé la route d’aucun ours polaire en presque 3 mois passés sur la banquise et déplore ne ramener dans ses observations que quelques traces d’un mâle affamé. Le roi des glaces aurait-il abandonné son royaume?

 

Cette actualité, portée par l’une de mes idoles juste avant les fêtes, est l’occasion pour moi de revenir sur la plus belle expérience de l’année et probablement l’une des plus belles de ma vie à ce jour. Car en Juillet 2019, j’ai eu l’immense privilège de découvrir de mes propres yeux le paradis blanc du Spitzberg.

Invité 6 mois auparavant à prendre part à une « croisière-expédition » de 10 jours par la compagnie Grands Espaces, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre et l’attente fut presque schyzophrénique. 

Parfois, j’avais peur de seulement toucher du doigt un rêve de gosse et de le voir s’éteindre, agonisant dans l’ignominie du mot « croisière » lorsque des nantis septuagénaires ventripotents jetteraient une carcasse de homard par dessus bord dans l’espoir de nourrir un phoque. Juste avant de sabrer le champagne bien au chaud dans le jacuzzi de leur cabine panoramique. D’autre fois, je le voyais scintiller dans l’héroïsme du mot « expédition » et me gargarisais à l’avance des anecdotes que je ramènerai du pôle nord, fier d’avoir affronté sans peur le face à face avec un ours en plein blizzard et de l’avoir mis en fuite grâce à mon incroyable courage. 

Je fus avec grand soulagement épargné de l’expérience touristique cauchemardesque au nom du profit! Bien que l’arctique en soit encore trop souvent le spectateur atterré. Mais ne rêvons pas non plus, je ne suis pas devenu le nouvel Indiana Jones des glaces. Le statut d’explorateur, se gagne avec l’expérience, la curiosité et une sacrée dose d’un courage qui me fait défaut. 



 
 
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Au plus grand plaisir de ma couardise, j’ai découvert dans cette « croisière-expédition » une merveilleuse façon de voyager dans ce type de contrées sauvages, ne l’oublions pas, particulièrement dangereuses pour les non initiés. Ce que propose Grand Espaces, c’est un subtil équilibre entre émerveillement et partage de connaissances, se refusant d’offrir un faste superflu, lui préférant un confort simple et chaleureux rendant l’expérience de la vie de bateau on ne peut plus immersive. 

Imaginez vous avoir la chance de partager le quotidien d’une petite dizaine de scientifiques qui, chaque jour, vous protègent, distillent leur savoir et livrent leur regard affuté sur un nouveau monde que vous questionnez sans cesse. Ce Géant aux pieds qui fondent, sur lequel votre coeur se pose à son tour et jamais plus ne gèlera. (De l’é-mer-veillement à l’éveil de la conscience il n’y a qu’un pas et une mer de connaissances.)

 
 
Adrien, ornithologue et naturaliste

Adrien, ornithologue et naturaliste

Christophe, chef d’expédition

Christophe, chef d’expédition

Xavier, guide de haute montage et spécialiste des glaces

Xavier, guide de haute montage et spécialiste des glaces

Christophe alias “Titou”, microbiologiste

Christophe alias “Titou”, microbiologiste

 

 

Avec Tamara nous sommes passés par de nombreuses émotions là bas et il y aura clairement un avant et un après Spitzberg. Parce qu’il n’y a rien d’autre qu’une larme givrée pour synthétiser la beauté de cette région. Certainement pas de mots. Les mots s’oublient trop vite et l’Arctique est tout sauf amnésiant.  

Parce que je n’oublierai jamais la rudesse de Longyearbyen, ville la plus septentrionale du monde, point de départ de l’aventure aux allures de Far West scandinave. C’est là que nous embarquerons sur l’Ocean Nova, le navire de l’expédition. 

Parce que je ne cesserai d’entendre comme si c’était la première fois, la voix de Christophe, notre chef d’expédition, grésillant dans le haut-parleur de la cabine en guise de radio réveil. Que 5 minutes plus tard le pont d’observation m’attendait pour remplir de fraicheur mes poumons et laisser place au spectacle. Mon premier fjord du voyage; Hornsund. Puis chaque jour le projectionniste changerait sa bobine sans que jamais je ne me lasse. 

 
 
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Parce que je garderai en moi l’excitation si particulière du « spotting » depuis la passerelle. Les yeux rivés dans mes jumelles, l’impatience chevillée au corps et l’espoir secret d’être le premier à repérer un ours sur l’interminable côte qui se déroule. Je n’ai pas tardé à en payer le prix car le « spotting » s’apparente plus à de la méditation qu’à un abordage de piraterie. Il faut savoir rester calme, concentré et faire preuve d’une grande patience au risque de se faire piéger par l’ivresse du spotteur. Cette ivresse capable de créer une nouvelle espèce qui prolifère au Spitzberg: le CAILLOURS. Fruit de notre imagination boostée au fantasme d’exploration, désorientée par les vibrations des jumelles, les cailloux se mettent à bouger et provoque l’insurmontable envie de s’écrier: « Là bas! Là bas! J’en ai vu un! Il y a un Ours! ». Le Caillours est bien entendu le sujet de moquerie favori de l’équipe d’expédition. 

 
 

Je n’oublierai pas non plus mon premier ours « blanc », en chair et en os. Le premier jour.( Ah ça pour un bon début d’expé! ). Comme tous les grands de ce monde ont beaucoup d’humour, le seigneur ne se dévoila pas tout de suite dans sa plus grande majesté. À sa robe blanche, il préféra arborer un pelage grisâtre fraichement enduit de la boue dans laquelle il venait pitoyablement de glisser. Je me souviendrai aussi des guides me confiant leur inquiétude quant à ses chances de survie. Jeune, amaigri, inexpérimenté, il ne semblait pas capable d’économiser ses efforts dans sa quête de nourriture. 



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Parce que je n’oublierai jamais la splendeur de la cour du roi. Sur terre, dans les airs et sous la mer. Renards, phoques, morses, rennes, baleines, rorquals et le ballet incessants de dizaines d’espèces d’oiseaux. Ces « piafs » , comme les appelle affectueusement Adrien, l’ornithologue de l’équipe, pour lesquels je me suis contre toute attente pris de passion. Alkefjellet, foyer de milliers de Guillemots virevoltants dans la brume accrochée aux parois de basalte, noires et inquiétantes, me donna le tournis. 

 
 
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Parce que je me remémorerai toujours nos excursions en Zodiac. De la morsure du vent sous un soleil éclatant, et le défilement de l’eau lisse comme de la soie. De la sensation de léviter dans un décor épique de Spielberg ou sur une autre planète mystique. L’inhospitalité des lieux dans un instant si glanant ressemblerait presque à un traquenard homérique, une beauté hypnotique d’où surgirait un monstre tentaculaire( je ne connais pas de poète de la mythologie nordique).

 
 
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Parce que chaque débarquement sur la terre ferme est une sensation incroyablement puissante. La splendeur de chaque endroit donne une envie de crier à l’intérieur de soi. Car c’est bel et bien le silence qui triomphe. Par humilité et par respect. En arctique ne résonnent que les éléments et un écho de fragilités: La nôtre et celle de notre environnement. Jour après jour, un contraste de sensations saisissant s’empare de nous. Lorsque nous découvrons une cabane de trappeur, elle nous ramène à la réalité de la survie et à un sentiment d’isolement extrême. Mais quand deux jours plus tard, sur une berge que le pied de l’Homme n’a peut être jamais foulé auparavant, des tonnes de plastique s’amoncellent, nous prenons en pleine face la gifle d’une autre réalité. Nous, pourtant si insignifiants dans ce désert froid qui pourrait nous happer en un instant, nous sommes également capables et coupables de sa destruction.

 
 
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Même informée des conséquences que peuvent avoir nos actes et nos habitudes quotidiennes à des milliers de kilomètres de là, notre conscience restait informe, dématérialisée par des bribes de vidéos consommées trop superficiellement. Une réalité trop éloignée, qui s’évapore très rapidement dans la reprise de nos tâches les plus banales. Mais croyez-moi, pouvoir lire de ses propres yeux «  Nos régions ont du talent » sur un emballage échoué avec autres bouteilles et filets de pêche à plus de 78 Nord… ça rend la chose bien concrète et ça serre la gorge. Non sans ironie, notre talent de destructeurs est indéniable, à nous la médaille d’or!

Les guides me redonnèrent le sourire et un regain d’honneur en s’arrêtant pour récupérer autant de déchets que pouvaient en contenir nos Zodiac. Ils nous expliquèrent à ce moment là le programme Clean-Up Svalbard mis en place par la Norvège, un projet de préservation qui oblige les tours operator de l’Arctique au ramassage des déchets et au recensement des zones touchées. On en parle plus en détail dans le film, si vous ne l’avez pas visionné en début de page, je vous invite à le découvrir ici !



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Ce paradoxe sensoriel nous accompagnera tout le voyage. À l’approche des glaciers, nous ressentons une quiétude quasi divine, rythmée par le claquement des bulles d’air s’échappant des glaçons à travers lesquels nous devons frayer notre chemin. Une pureté proche de l’absolu régulièrement perturbée par un craquement sourd. Les pénitents de glace millénaire s’effondrent, inexorablement. Ne sombrons pas pour autant dans la panique apocalyptique, la Nature fait tout simplement son oeuvre, cyclique, de création, de destruction et de transformation. 

Notre planète est dans une phase « normale », interglaciaire (ce que l’on appelle actuellement Holocène), qui a toujours conduit à la fonte des glaces avant de connaitre une nouvelle ère glaciaire. Alors, me direz-vous, quel est le problème? 

Le problème c’est que nos activités, responsables du réchauffement climatique, accélère de manière inquiétante et exponentielle ce phénomène naturel. Elles créent un déséquilibre important qui balaye avec lui dans un premier temps les espèces les plus fragiles. Les espèces savent par nature évoluer avec leur environnement; mais dans les conditions d’un changement si brutal, celles inféodées à la banquise disparaitront avant de pouvoir évoluer. Pire encore, la pollution des océans qui empoisonne toute la chaîne alimentaire, du plus petit plancton à l’Ours blanc se délectant de chair de phoque toxique, et ce problème ne concerne plus seulement les espèces fragiles. Nous y voilà. 

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Aux plus insensibles d’entre nous, complètement anthropocentrés, si le sort de ces bestioles de contes pour enfant ne vous affecte pas, je me permets de rapporter une anecdote: Les femmes Inuit, peuple se nourrissant en grande partie de phoques et de poissons, ne peuvent plus allaiter leurs nourrissons, leur lait devenant du poison. Et si le sort de ces personnages de livres pour enfants ne fait pas mouche non plus, laissez moi vous parler de vous et de l’oxygène que vous respirez. Inspirez bien, car c’est, en ce qui me concerne, la connaissance la plus stupéfiante acquise lors de ce voyage:

La banquise, en plus de son rôle d’immense climatiseur parce qu’elle reflète le rayonnement solaire, abrite la plus grande quantité de phytoplancton, organisme capable de photosynthèse, responsable de la production de la MOITIÉ de l’oxygène sur Terre! J’étais pendu aux lèvres de Christophe, le microbiologiste de l’équipe, et je réalisais à quel point la connaissance de notre environnement est insuffisante dans notre société soi-disant instruite.

(On en parle aussi dans le film)

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Je suis une éponge. Et collecter ces informations au milieu de l’indicible beauté d’une Nature brute et sauvage, me bouleverse. Mes émotions ont pris les montagnes russes et elles n’ont cessé de s’amplifier. 

 
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Pendant 10 jours, déconnectés du monde extérieur, observation après observation, nous avons appris l’histoire de nos méfaits, que notre victime elle même nous contait avec la sagesse de ceux qui pardonnent. Peu rancunier, un ours blanc bien dodu (de nom et de pelage cette fois-ci) nous offrit même un show incroyable. Roulades, lancer de bâton et un remuage de popotin à faire transpirer Baloo dans un concours de danse. Hypnotique cet ours. Tellement qu’il nous aura fallu  reculer quand il s’approcha à quelques mètres du bateau, pour s’éloigner du danger qu’il pouvait représenter. On oublie vite que la grosse peluche est aussi un super prédateur en situation de survie. 

La beauté dramatique du glacier de Liliehook et son front de glace d’au moins 7km fut l’occasion de constater la fonte des géants. Et de parler d’une figure importante de la recherche en Arctique qui m’était totalement inconnue, le Prince Albert 1er de Monaco qui photographia le glacier lors d’une expédition en 1906. Un siècle plus tard, le glacier a perdu 40% de son volume.


 
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Naviguer autour du Spitzberg, c’est évoluer dans un recueil d’anecdotes et de fantasmes. La notion d’exploration y est partout. Qu’elle concerne la recherche scientifique des 19eme et 20eme siècle ou qu’elle soit l’Histoire épique de conquérants et des premiers commerçants, elle nous transporte. Guettant une trace du retour des morses dans la région, c’est à Amsterdamoya que l’on trouva notre bonheur. Un endroit pourtant béni des baleiniers Hollandais du 17 ème siècle, qui chassaient ici les baleines présentes « comme carpe en vivier ». Face à tant de richesses, une vraie guerre commerciale éclata entre les puissances européennes. Sabordage, piraterie, massacres… une source d’inspiration intarissable pour des romans d’aventures. 


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Et je n’oublierai jamais avoir posé le pied sur la banquise au plus proche du pôle Nord. Y avoir dérivé sur plus d’un kilomètre sans m’en apercevoir. Et à l’instar de Mike Horn, pendant plus de deux jours passés à scruter l’infinité de glace qui entourait le navire, n’y avoir vu aucun ours… ou presque. Car comme pour lui, une surprise de taille vint clôturer l’aventure. Le jour de Noël pour cette légende de l’exploration, alors qu’il se trouvait encore sur le navire qui l’a secouru, maintenant prisonnier des glaces depuis deux semaines, une mère et ses deux petits en pleine santé s’approchèrent avec curiosité. Et nous, comme un au revoir, une note d’espoir et de tendresse pour le futur, on eut la chance de suivre du bout des jumelles deux silhouettes, l’une grosse, l’autre plus petite, s’évanouir au loin dans le nuage bleuté de l’horizon du Nord.




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Voilà. Mon récit touche à sa fin même si je pourrais en parler pendant des heures. J’ai vécu un voyage unique et je vous souhaite vivement de le vivre un jour, c’est l’expérience d’une vie.

Je vous conseille Grands Espaces pour vivre ce voyage de rêve. Authentique, intimiste, et une équipe humainement au top, cette compagnie a une belle âme que je ne pense pas pouvoir retrouver ailleurs. 

En tout cas moi, je n’attends qu’une chose, c’est d’y retourner!

Toutes les infos sur l’expédition au Spitzberg avec Grands Espaces ici.